Rallye des Abbayes – Télévie 2008Dimanche 16 novembre, 06h50. Le réveil claironne, mais j’ai les yeux ouverts depuis un certain temps déjà. Je me lève à peine que l’inquiétude me vient : est-ce qu’elle sera là? Je redoute le problème de dernière minute…
J’arrive au Wimbledon Tennis Club de Waterloo vers 8h15 au volant d’Elise. Quelques superbes ancêtres sont présents, je me gare auprès d’eux. Un petit parking est réservé aux Supercars actuelles : Lamborghini Gallardo, Aston Martin V8 Vantage et Vanquish S, Maserati Quattroporte, Audi R8 et RS6, Dodge Viper, Jaguar XKR, BMW M3 Cabriolet, Porsche 996 GT3RS et 997 Phase2 Cabriolet, Bugatti Veyron et… «ma» Porsche Carrera GT.
Les personnalités débarquent également : Vanina Ickx, Eric Van de Poele, Frédéric Bouvy, Eddy Merckx, Enzo Scifo, Georges Grün, Andé Lamy, Alain Simons, Gaetan Vigneron, Pierre Van Vliet … et Willy Braillard, ancien pilote belge des années 60 et 70 (monoplace, rallye, circuit dont les 24 Heures du Mans), qui sera mon chauffeur d’un jour. Tous sont réunis pour le Télévie, association de lutte contre la leucémie à laquelle les fonds récoltés seront versés. Tout est parti de là, en vérité.
La semaine précédente, j’avais reçu un mail parlant de ce rallye et permettant de gagner une place aux côtés d’Eric Van de Poele dans la Maserati Quattroporte. Mais les autres places de passager dans ces voitures de luxe étaient mises aux enchères pour le Télévie. J’ai tenté ma chance en faisant un don et… je l’ai remportée. Tandis que les participants s’élancent, je mets ma veste dans le coffre de la Carrera GT, je salue Willy qui a réveillé les 10 cylindres il y a quelques minutes déjà et m’installe à ses côtés,. Bien que ravi, je ne peux m’empêcher de me demander si je ne serai pas déçu : la météo est maussade et menaçante, les routes humides, et j’imagine que D’ieteren, qui a prêté la voiture, aspire à la récupérer entière.
Première enclenchée. Doucement, l’auto s’élance et s’arrête au bord de la chaussée, attendant que les Policiers arrêtent la circulation. Le minuscule embrayage en céramique et la course réduite de la pédale rendent le dosage très délicat. Il ne faut pas le faire trop patiner, ni relâcher brutalement sous peine de caler le moteur. Il convient de caresser le point de patinage puis d’envoyer la sauce en retirant le pied rapidement pour éviter les à-coups. Evidemment, lorsqu’on libère 612 purs-sangs élevés à l’octane sur une chaussée glissante, ça ne fait pas dans la dentelle. Généreux travers parfaitement maîtrisé aux pieds de l’Agent de Police et démoniaque accélération jusqu’au troisième rapport, quand Willy relâche progressivement les gaz pour que les seules roues arrières motrices reprennent un peu d’adhérence et calment le jeu. Mes vertèbres se remettent dans l’ordre, je retire mes ongles enfoncés dans la coque de mon Nikon. Quelques secondes de silence.
«Bon, et bien je crois que les présentations sont faites!» dis-je en riant nerveusement…Nous nous calons gentiment derrière Vanina Ickx et son Audi R8.
L’atmosphère détendue, nous engageons la conversation. J’apprends que Willy a déjà conduit cette Carrera GT sur circuit lors de la parade des 24 Heures de Spa pour les 60 ans de la marque. Elle accuse maintenant près de 12.500km, mais elle est dans un état impeccable. Bien que fort bruyante à l’intérieur de part son insonorisation inexistante (le niveau sonore est comparable à mon Elise échappement sport!), les gros pneus qui induisent un bruit de roulement conséquent et le moteur à ras des oreilles, je ne constate aucun bruit de mobilier, même sur les pavés de Ittre. C’est Porsche, c’est allemand, la finition est parfaite, bien que le cuir brun ne soit pas de mon goût. Pas de gadgets, rien pour se distraire à part la radio que nous nous sommes empressés d’éteindre pour mieux profiter des jappements du V10.
Parlons-en, du moulbif. C’est quand même la pièce maîtresse de cette Porsche, ce que distingue le nectar de la lie automobile. Il ne ronronne pas, il aboie! Le bruit – pardon, la symphonie – est magnifique, sublime. Willy n’hésite pas à amuser les foules avec quelques montées en régime bien senties devant les spectateurs. Les gens se retournent sur notre passage, les chats se taillent en vitesse, les chiens hurlent à la mort, les oiseaux se taisent, les dentiers des vieux retournent tout seuls sur leur table de nuit, les femmes enceintes perdent les eaux.… euh enfin, disons que ça donne dans le spectaculaire. J’ignore si nous avons rendu des gens heureux, mais moi, ça m’aurait plu! Nous arrivons dans un tunnel sur la petite ceinture de Charleroi. Instinctivement, j’abaisse ma vitre. Willy comprend le message, enquille la 2ème avec le petit coup de gaz qui va bien et fait ricocher la musique des échappements jusqu’à mes oreilles. Je ne peux m’empêcher d’éclater de rire. Le bonheur, c’est simple, finalement.
Ce moteur ne s’exprime pleinement qu’en conduite sportive, bien entendu. L’absence d’inertie de son léger volant-moteur le rend extrêmement vif, tel un moteur de course. Il a les gènes de la compétition, et ça s’entend! Willy a pu mettre pied au plancher plusieurs fois lors du parcours, sur autoroute ou nationale (c’est là que vous commencez à tomber amoureux des ronds-points et des relances qui s’en suivent), malgré le revêtement souvent glissant. La poussée est physique et vous appréciez que le dossier du siège soit revêtu de cuir et non de peau de planche de Fakir! Contrairement aux moteurs turbocompressés modernes qui poussent tout le temps mais sans brutalité, ce 5.7 litres n’est pas linéaire mais envoie de plus en plus, jusqu’à exploiter pleinement les 612 chevaux perchés à 8000 tours. Impressionnant! Un vrai caractère.
La mise en vitesse est également explosive : moins de 10 secondes pour atteindre les 200 km/h depuis l’arrêt. Autant dire que sur autoroute à vitesse légale, le moindre soubresaut au pied droit vous catapulte à des vitesses que la décence m’interdit d’évoquer ici. Pratique pour rattraper le groupe des participants, un peu moins pour garder son permis. Mais méfiance! Le Traction Control est resté engagé tout au long, mais il est plutôt du genre permissif. Il n’est pas rare de devoir empêcher les roues arrière de passer devant, même sur le troisième rapport. Coupleux (590Nm pour un atmosphérique, c’est remarquable), le V10 repart à bas régime sans sourciller. C’est heureux, car la boite de vitesse requiert de la précision dans le geste et de la concentration. La grille est très rapprochée et il est courant de passer la 5ème au lieu de la 3ème ou de peiner à passer un rapport. Personnellement, j’apprécie que Porsche ait choisi un levier classique, plutôt qu’une
«flappy pedal gearbox», pour reprendre une expression chère à Jeremy Clarkson.
Après une étape chez August, spécialiste Porsche situé à Ohain, où j’ai pu m’extasier devant un 550 Spyder et son James Dean en plastique grandeur nature, une 907 courte produite à 13 exemplaires, une 2,7RS plus neuve qu’en 1973 et autres merveilles (Alpine A110, Ferrari 275GTB, Porsche 993 Supercup, j’en passe), nous retournons sur Waterloo pour assister à la vente aux enchères d’un casque de Jacky Ickx datant de 1978, toujours pour le Télévie, remporté par un Eric Van de Poele visiblement heureux. S’en suit un tournois de Tennis disputé par les personnalités dans une ambiance très conviviale. Obtenir un signe de tête d’Eddy Merckx ou manger à côté de Marc Hermann qui n’en rate pas une, fait également partie du plaisir que l’on prend lors d’une telle journée.
C’est le sourire aux lèvres que je remonte dans l’Elise, qui me paraît à présent bien fade…
Photos du rallye:
http://www.titchati.be/porsche/TelevieWaterloo2008.htm
Photos chez August:
http://www.titchati.be/porsche/August.htm