Avec un résultat de 25,1 millions d’euros, dont 16,3 assurés par la seule Ferrari California ayant appartenu Alain Delon, et plusieurs épaves vendues au prix de l’or, la vente de la collection Baillontémoigne du vent de folie spéculatif qui souffle en ce moment sur l’automobile de collection. Caradisiac y était, et vous raconte.
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Affluence des grands jours dans une vaste salle du hall 2.1 du parc des expositions de la porte de Versailles à l'occasion de Rétromobile. Il est 13h 30 ce vendredi 6 février, et dans une demi-heure va démarrer la vente aux enchères de la collection Baillon, largement évoquée par Caradisiac ces derniers jours. Les 950 sièges sont pris d’assauts dans un joyeux brouhaha par les enchérisseurs et les curieux qui ont eu la chance d’obtenir un laisser-passer pour cet évènement qui s’annonce mémorable. L’on se bouscule, l’on râle, l’on s’échauffe. On parle français, bien sûr, mais aussi anglais, allemand, hollandais ou russe, et certains collectionneurs s’apostrophent entre eux ou discutent de leurs récentes ou prochaines acquisitions, tandis qu’en fond sonore sont convoqués Serge Gainsbourg (Black trombone, Ford Mustang…), le générique de la série Amicalement vôtre ou celui de James Bond.
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Dans un joyeux brouhaha, les 950 sièges sont pris d’assauts par les enchérisseurs et les curieux.
Quelque 35 agences de presse sont accréditées pour l’évènement.
Derrière les rideaux de la salle qui se remplit à toute vitesse, la quasi-totalité des 59 voitures est exposée dans une pénombre savamment étudiée, et dans une mise en scène qui pourrait être celle qu’aurait voulu Roger Baillon si son projet de musée avait vu le jour. Dans quelques heures, ces beautés, pour certaines endormies depuis près d’un demi-siècle dans le parc de la propriété niortaise où elles étaient entreposées, oubliées de tous, seront vendues. Elles passent donc leurs derniers moments ensemble avant de se disperser à jamais et de partir, du moins en ce qui concerne les plus chères d’entre elles, pour des destinations très lointaines.
Le contraste est saisissant entre la quiétude de l’exposition, sorte de mausolée où l’ambiance est propice à une certaine forme de recueillement, et l’excitation qui règne dans le public. Il faut dire que l’écho médiatique suscité depuis quelques mois par cette « sortie de grange » est énorme, et attise la curiosité d’amateurs du monde entier. Ainsi, quelque 35 télévisions et agences de presse sont accréditées pour l’évènement.
C’est bien sûr Hervé Poulain, Vice-Président et Associé de la maison Artcurial, considéré unanimement comme l’homme-référence dans l’association de l’art et de la vitesse qui s’apprête à officier au marteau. A 14 heures, debout au milieu de la grande estrade surplombant la salle, il prend le micro et prononce l’un de ces savoureux préambules dont il a le secret, et dont nous vous livrons ici la quasi-intégralité :
Le préambule d'Hervé Poulain : une envolée lyrique
« L’automobile constitue la marque d’un art de l’humanité. Et cependant nous avons été surpris agréablement par l’écho planétaire qu’a suscité la présentation de la collection Baillon. J’y vois la cause dans l’histoire de l’art. C’est une constante, une réflexion sur la fuite du temps, notre finitude et la vanité de nos ambitions. Sous la renaissance, on appelait ça des écorchés, des artistes cherchaient la mue sous la peau et les entrailles. Un siècle plus tard Rembrandt peignait La Leçon d’anatomie. Plus tard encore, Hubert Robert ou Panini peignaient des paysages d’architecture en ruines. Puis, toujours dans cette recherche des corps et de la machine, Picabia inventait des machines, ces filles nées sans mères avec leurs innervations de fils, leurs poumons d’acier, leur cœur d’acier et leurs artères de caoutchouc. Et bien Mesdames et Messieurs, la leçon à tirer de cela c’est qu’il faut vivre intensément, et se faire du bonheur. Ce que je vous invite à mettre en pratique dès maintenant ! Aussi bien avec mon marteau comme une baguette magique, aussi bien avec moi-même comme un alchimiste et vous comme collectionneurs, nous allons réanimer ces belles pour un autre destin. La première fois que je suis passé dans une émission de Bernard Pivot, j’avais dit que la production automobile dans ce qu’elle a de meilleur, parce qu’elle est une œuvre vivante et parce qu’elle représente les pôles du génie de l’homme, procurait plus de sensation et plus d’émotion qu’un Renoir. A l’époque cela paraissait comme une provocation. Et bien nous y sommes aujourd’hui… »
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Maserati A6G Gran Sport Frua : 2 millions d’€
Et c’est parti ! La première enchère est importante, dans la mesure où son résultat va donner la tendance de la vente. Une Singer 1500, modeste roadster britannique dont la valeur est évaluée à 800 €, part pour…10 000 € de plus ! Un démarrage en trombe qui va faire souffler un véritable vent de folie sur les voitures qui suivent : 25 000 € pour une camionnette-plateau Delahaye estimée à 3000 €, près de 24 000 € pour une Talbot T120 coach en piteux état estimée à 4000 € - « Merci Monsieur, une vie entière de bonheur à la restaurer ! », lancera avec malice Hervé Poulain au dernier enchérisseur - , ou bien encore 52 000 € pour ce qu’il restait d’une voisin Type C3 de 1923, royalement estimée à 2000 €. Bref, le ton était donné.
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Talbot Lago T26 Grand Sport coupé Saoutchik : 1,7 million d’€
D’autres prix ? 143 000 € pour une Facel Vega Excellence complète mais fort défraîchie (au lieu de 80 000 €), 89 500 € (au lieu de 30 000 €) pour une Porsche 356 SC, ou près de 430 000 € pour une Delahaye 135 M cabriolet Faget-Varnet (estimation de 150 000 €) qui s’apprête à traverser l’Atlantique. Une véritable folie, orchestrée avec le talent qu’on lui connaît par Maître Poulain, assisté par les très compétents Mathieu Lamoure et Pierre Novikoff, dont on relève toutefois qu’ils ont pour point commun de parler (pas très bien) anglais avec un effroyable accent français. Surtout, il est intéressant d’observer le jeu du commissaire-priseur et de son crieur, à qui aucun mouvement de bras dans la salle n’échappe. Sur scène, c’est une véritable mécanique de précision qui est à l’œuvre : il faut être attentif à ce qu’il se passe à la fois dans le public, par internet ou par téléphone, relancer les indécis, faire augmenter l’enchère avec habileté, ajouter une note d’humour autant que possible, frapper le marteau au bon moment, et savoir ne pas perdre de temps. La machine est rodée, elle fonctionne vite et bien et l’on peut donc savourer le spectacle.
Un enchérisseur qui croyait avoir remporté un coupé Panhard-Levassor 1936 (lot n°33,) repartira sans l’auto car celle-ci est préemptée sur le fil par le musée de Compiègne, prioritaire en tant que représentant de l’Etat. Une jolie pièce pour le patrimoine automobile historique français, bravo !
A mesure que l’on avance dans la vente, les prix augmentent. Une très racée Talbot Lago T26 Record cabriolet par Saoutchik, possible « Winner of Pebble beach » à en croire Hervé Poulain s’envole à 726 000 € (estimation 150 000 €). Autre Talbot Lago, la T26 Grand Sport SWB carrossée elle aussi par Saoutchik atteint malgré son piteux état le prix stratosphérique de 1,7 millions d’euros frais inclus ! A peine croyable. Mais après 2 heures 45 de vente et 57 voitures adjugées (dont une Lancia Thema 8.32 à 8 400 €, ou une Ferrari Mondial cabriolet à un peu moins de 36 000 €), le dénouement approche.
La Ferrari 250 California ex-Alain Delon adjugée 16,3 millions d’euros
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Un quasi-noir se fait dans la salle pour laisser entrer le coupé Maserati A6G 2000 Gran Sport signé Frua. Estimé à 1,2 million, il part finalement à 2 millions. L’enchérisseur victorieux se trouve dans la salle, debout car il n’a pas trouvé de place assise. Il lève le poing quand Hervé Poulain abaisse son marteau, applaudi par le public. Un homme heureux, donc. Arrive enfin la star de la vente, à savoir la Ferrari 250 California ex-Alain Delon. Cabossée, fanée, mais complète. L’on se souvient qu’en 2012, une autre 250 California, un modèle 1959 ayant appartenu à Roger Vadim, en bien meilleur état que celui exposé ce jour, avait atteint 4,5 millions d’euros. Mais cette valeur de référence est battue d’office puisque Hervé Poulain démarre son enchère à…6 millions, pour une estimation comprise entre 10 et 12 millions ! Moins de dix minutes plus tard, l’auto atteint 16,3 millions d’euros frais compris. Record du monde battu pour ce qui est aussi très probablement l’objet le plus cher jamais vendu en France. Une France qui l’aime, mais qu’elle quitte pour une destination encore inconnue. « Je connais l’acheteur de la voiture, et la bonne nouvelle, c’est que celle-ci va rester dans son état d’origine. La mécanique va être refaite, mais le but de son nouveau propriétaire est de la laisser dans son état le plus proche possible de ce qu’il est aujourd’hui. », nous a expliqué à l’issue de la vente Mathieu Lamoure, directeur associé d’Artcurial, qui manifestement exulte du résultat obtenu. « Oui, on s’attendait à un succès. Mais 25,1 millions pour la seule vente Baillon, c’est historique. C’est aussi un hommage à Monsieur Baillon. Songez que nous avons accueilli durant Retromobile 12 000 visiteurs par jour à notre exposition. Nous constatons avec bonheur que les gens ont encore la passion et de l’automobile. »
Sacré destin pour cette étonnante collection Baillon, oubliée de tous ou presque durant des décennies, vestige des rêves d’un entrepreneur déchu qui n’aurait probablement jamais cru que sa démarche susciterait in fine un tel intérêt. Mais quand une bulle spéculative est là, chacun cherche à en profite autant qu’il le peut...jusqu'aux limites du raisonnable, manifestement de plus en plus lointaines.
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Delahaye 135 cabriolet Faget Varnet : 429 000 €
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Bugatti T57 Ventoux : 298 000 €
Collection Baillon : la folie douce de la vente
Hispano Suiza H6B Cabriolet : 572 000 €
Collection Baillon : la folie douce de la vente
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